Behzod Boltaev : le gardien d’une tradition plurimillénaire
- APPO
- 12 mai
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 mai

Behzod Boltaev est né en 1996 au sein d’une communauté connue pour ses photographes. Au premier rang desquels son père, le célèbre Shavkat Boltaev (qui n’est plus de ce monde) ; autour de lui, un cercle rapproché constitué de fidèles, dont Nuriddin Juraev et Zilola Saidova, membres de l’école de photographie de Boukhara qu’il avait fondée. Jusqu’à aujourd’hui, ils forment comme une famille.

À l’âge de 3 ans, Behzod tenait déjà un appareil photo. Lorsqu’il eut entre 5 et 6 ans, il commença à se passionner pour la photographie. Il était fasciné par tout ce qui la concernait ; de l’équipement à comment l’entretenir et le réparer. Il captait des images avec autant d’insouciance que celle dont faisaient preuve ses amis qui jouaient au football dans la cour. Il réalisa ainsi une série de photographies grâce à un simple appareil photo Panasonic.
Adolescent, il admirait des photojournalistes à la renommée internationale comme Steve McCurry, Abbas Attar Hamedani, et Reza Deghati. Très influencé par son père et nourri de ses propres expériences, Behzod gravitait autour du photojournalisme. Il reprenait à son compte la

mission que son père s’était donnée à travers son propre objectif : il voulait être le gardien de la culture et des traditions de sa patrie. Une promenade, une course, n’importe quel moment insignifiant de la journée l’incitait à s’arrêter afin de documenter un fragment de l’histoire de l’Ouzbékistan sur un simple déclic.
Sa passion pour la préservation du patrimoine culturel alliée à son talent lui a valu la reconnaissance de l’Unesco et d’être récompensé par des institutions en Ouzbékistan et à l’étranger dans des pays comme la France, la Suisse, la Russie, et l’Argentine.
Behzod alterne entre le noir et blanc et la couleur, en fonction de l’atmosphère qu’il veut rendre. Il pense que chaque format offre un outil différent, plus ou moins efficace, pour raconter l’histoire d’un sujet au moyen d’un cadrage particulier. Par

exemple, le noir et blanc lui permet de pénétrer plus profondément dans les émotions, tandis que la couleur capture la vie qui ressort de détails de l’existence traditionnelle.
Lorsqu’il parle de son attachement à capter les émotions, il dit sa conviction que « les yeux sont le miroir de l’âme ». En effet, à travers le regard, on peut lire la joie, le bonheur, la tristesse, l’angoisse, la sagesse… Dans ces expressions humaines primordiales, Behzod trouve une inépuisable source d’inspiration. Cela ressort avec force dans des séries comme « Mysterious Tribe » (« Une tribu mystérieuse »), à propos de la communauté rom d’Asie centrale ; « View of Boukhara » (« Un aperçu de Boukhara »), à propos de la communauté juive de Boukhara (présentée à Saint-Pétersbourg en novembre 2024) ; et « Timeless Treasures : Jewish Cultural Heritage Through the Eyes of Young Photographers » (« Des trésors intemporels : l’héritage culturel juif vu à travers les yeux de jeunes photographes »), parrainée par le siège de l’Unesco à Paris en janvier 2025.

Maîtrisant la technique comme les jeux de lumière et d’ombre, Behzod accorde de l’importance à l’action, au mouvement, au cadre dans lequel s’inscrivent ses sujets. Conjugué à son goût des traditions et à son attachement à préserver sa culture, cela lui permet de transformer une photographie en un objet quasi surréaliste et fantastique.
En prenant des photos dans le Régistan de Samarcande avec son appareil Canon – un

legs de son père – Behzod dit que chaque bonne photographie lui procure un bonheur éphémère. Même si le métier de photographe en Ouzbékistan n’est pas très bien payé. Il appuie cependant sur le déclic, parce que la photographie possède un pouvoir qui l’attire vers des endroits reculés, où il trouve de quoi donner forme à ses idées – que ce soit dans les citadelles d’Elliq Kala dans le Khwarezm, situées dans une oasis au Karakalpakstan, ou dans les rues obscures d’Itchan Kala à Khiva. Ses photographies voyagent désormais à travers des expositions tout autour du monde, et il voyage avec elles – même si c’est de manière virtuelle pour l’instant.
Behzod confirme que la photographie fait dans son pays face à d’importants défis. Les

incessantes avancées technologiques nécessitent de fréquentes mises à niveau des appareils ; toutefois, comme les nouveaux systèmes ne sont pas vraiment disponibles sur le marché intérieur, ils doivent être importés au prix de grandes difficultés et à un coût très élevé. Avec un PIB par habitant estimé à environ 3 500 $ en 2025, un tel équipement dépasse les

moyens de l’Ouzbek moyen, ce qui rend un travail de haute qualité très difficile à réaliser.
En outre, la modernisation et le boom du secteur du tourisme (l’Ouzbékistan s’attend à accueillir 30 millions de touristes aux alentours de 2030) font que les traditions sont de plus en plus contaminées par les modes actuelles. Sans compter la montée en puissance de l’IA, les dangers qui pèsent sur la propriété intellectuelle et la protection du

copyright. Autrement dit, la photographie connaît des transformations majeures.
Dans un tel contexte, Behzod, dans sa volonté de préserver les coutumes et les traditions de son pays, fait face à de nouveaux défis et à de nouveaux obstacles. Immortaliser le passé d’un des berceaux de la civilisation à travers des photographies actuelles, telle est la tâche monumentale à laquelle Behzod s’est attelé. Il y est cependant parvenu : chacune de ses images nous montre un peuple dont le passé demeure, en arrière-plan peut-être, mais bien vivant.
Après notre longue conversation dans sa salle à manger, Behzod s’est levé pour m’apporter

une tasse de thé. J’ai profité de ce bref instant pour observer les niches murales, finement ornées de céramiques ouzbèkes et iraniennes dont on se servait jadis pour y stocker des boissons et des aliments. Et je suis frappé par un souvenir d’enfance ; je me rappelle les contes des Mille et Une Nuits – si ce n’est que là, sans l’avoir voulu, je me trouve plongé dans l’un de ces contes… Le temps s’immobilise un instant, ce temps dans une maison de Boukhara, tandis que je me souviens du passé comme à l’intérieur du passé, par la magie de la photographie de l’un des gardiens d’une nation plurimillénaire… Behzod Boltaev !
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